«Un vaste chantier nous attend» Grégoire CATTA, Jésuite.
Directeur du service Famille et société de la Conférence des évêques de France, le jésuite Grégoire Catta vit en communauté dans une cité HLM à Saint-Denis (93). Il invite à penser l’après confinement comme un temps de reconstruction, et même de renaissance.
Avec d’autres jésuites, nous vivons dans trois appartements d’une cité HLM. Actuellement, nous sommes quatre à rester présents. Le confinement se vit ici comme partout ailleurs mais avec les caractéristiques de Saint-Denis, c’est-à-dire un lieu très peuplé avec des logements petits, pour certains vétustes. Les habitants s’adaptent, mais nous sentons bien que cela rajoute des difficultés. Nous voyons aussi beaucoup de solidarité entre voisins. Dans nos quartiers, des relations se tissent et se développent. Et par moment, la violence surgit – violences familiales, tensions entre les jeunes et la police, même si cela n’a pas eu lieu dans notre quartier proprement dit mais alentour. Comme toute crise, celle que nous vivons a un effet de miroir grossissant.
Chaque jour, nous tenons une permanence à l’église Saint-Denys-de-l’Estrée dont nous avons la charge. De nombreuses personnes viennent y prier un moment, trouver du calme, s’en remettre à Dieu. Ce sont des paroissiens habituels mais aussi des personnes que nous n’avions jamais vues, et des personnes un peu plus perdues, marginales, ceux qui n’ont pas de chez eux… Comme dans toute paroisse, nous avons trouvé des moyens pour maintenir des liens dans la communauté et exercer la solidarité. Notre aide alimentaire d’urgence continue ainsi de fonctionner pour des familles envoyées par le Secours catholique ou d’autres services d’aide sociale. La mairie a aussi repris à son compte l’aide que des associations ne pouvaient assumer, leurs bénévoles étant indisponibles ou âgés. Nous commençons à sentir très fortement l’émergence d’une crise économique et sociale. A la maison de la solidarité où il y a une distribution de paniers repas, nous voyons dans la file d’attente qui se forme tous les jours des personnes qui jusqu’à présent n’avaient pas besoin d’une aide alimentaire. Certaines nous demandent aussi comment obtenir une aide pour payer le loyer. Ceux qui vivent de travaux précaires, parfois sans papiers, n’ont plus de revenus.
Dans sa lettre encyclique, Deus caritas est, Benoît XVI parle des trois missions de l’Église : la liturgie, l’annonce de l’Évangile, et la diaconie c’est-à-dire le service. La célébration eucharistique est le centre de notre vie, mais elle n’en est pas le tout. Annoncer l’Évangile par la parole et par les actes, le service du prochain, est tout aussi important. Mais il ne s’agit pas simplement d’exercer la charité dans la relation interpersonnelle pour subvenir aux besoins de l’autre, mais aussi de participer à l’organisation de la société. C’est le défi qui nous est lancé aujourd’hui. Nous avons vécu un choc et un temps de confinement où tout s’est arrêté. Et maintenant, il s’agit de relancer l’activité économique et sociale. Plutôt que de la relancer, ne s’agit-il pas de la reconstruire ? Nous sommes appelés à une conversion personnelle et à transformer les structures. Cela peut nous sembler une montagne infranchissable. Pourtant, la doctrine sociale de l’Église nous enseigne que la transformation des personnes peut contribuer à celle des structures. Nous le voyons bien : des mobilisations de consommateurs et de citoyens font bouger les choses. Nous pouvons nous appuyer là-dessus pour ne pas en rester simplement à ce qui est indispensable – les actions de charité au plus proche de nous comme la distribution d’un panier repas – mais n’est pas suffisant pour que nos systèmes économiques ne laissent pas des personnes sur le bord du chemin. Pour nous chrétiens, ce temps est l’occasion de nous engager dans un vaste chantier avec d’autres citoyens.
D’abord en nous interrogeant : que voulons-nous poursuivre comme avant, arrêter ou transformer, et comment ? Le mot « crise » vient du grec qui veut dire « choisir », « discerner ». Nous avons un travail de discernement à faire pour que perdure ce qui s’est révélé possible – au niveau de la solidarité, mais aussi de la santé où des professionnels des secteurs privé et public se sont mobilisés pour travailler ensemble –, et pour revoir certaines activités. Depuis l’appel de Laudato Si’ à la conversion à l’écologie intégrale, nous avons conscience que certaines activités ne sont plus tenables car elles ne permettent pas de prendre soin de la terre et des plus pauvres. Il n’y a pas de solutions toutes faites, mais nous devons repenser nos modes de déplacement et de consommation. Il s’agit d’écouter la voix de l’Esprit pour faire ce travail de discernement dans les lieux où nous sommes déjà engagés : écoles, entreprises, associations… Au service Famille et Société de la Conférence des évêques de France, se pose par exemple la question de la pastorale du tourisme. Penser à « l’après » commence par penser notre vie « avec le virus ». Quel type de tourisme privilégier ? Cet été, nous allons sans doute apprendre à faire du tourisme local. Mais il ne suffit pas de dire que nous voulons arrêter de voyager à l’autre bout du monde. Des personnes vivent du transport aérien. Que leur proposer ?
C’est le vrai défi. Le virus nous a tous touchés, même s’il nous a touchés différemment. Et nous sentons bien que pour lutter contre lui, nous devons faire corps. Aujourd’hui, un certain nombre de personnes risquent de perdre leur travail, d’autres n’ont plus les moyens de payer leur loyer. Nous ne nous en sortirons qu’en étant solidaires. Pour nous chrétiens, l’option préférentielle pour les pauvres n’implique pas simplement d’identifier les besoins des personnes vulnérables mais de se mettre en chemin avec elles, en écoutant ce qu’elles ont à nous dire. De manière globale, nous redécouvrons nos fragilités et le fait de vivre dans l’incertitude. Nous ne pouvons plus tout programmer comme avant ni même prévoir ce qui va se passer dans trois semaines. L’incertitude règne. Où trouver des ressources pour vivre dans cette incertitude ? Nous expérimentons de manière plus concrète et moins théorique ce que veut dire mettre notre confiance dans le Seigneur et nous mettre à l’écoute de l’Esprit. Il souffle où il veut, mais on ne sait pas d’où il vient ni où il va. Dans l’entretien avec Nicodème (Jean 3, 1-9), Jésus dit : « Il vous faut naître d’en haut ». C’est un peu ce à quoi nous sommes appelés aujourd’hui. Dans ce temps de crise, il nous faut renaître. Comme Nicodème, nous nous demandons comment cela est-il possible. Renaître d’en haut, ce n’est pas recommencer comme avant. Comment pouvons-nous être des Nicodème aujourd’hui ?