18 mars 1858 : interrogatoire de Bernadette
L'avocat Romain Capdevielle, rédacteur au Mémorial des Pyrénées et fiancé de Marie Dufo, une lourdaise fervente admiratrice de Bernadette, publie les 9 et deux articles par lesquels il fait l'éloge de la voyante de Lourdes qui reste, selon lui, « toujours aussi simple et aussi naïve qu’auparavant. » Ces articles relancent la ferveur populaire. Les cierges se font plus nombreux à la grotte, on y laisse des dons, on boit l'eau de la source, une Vierge de plâtre est déposée dans la cavité où apparaissait Aqueró. La grotte est devenue un lieu de culte illicite.
Le procureur Vital Dutour s'inquiète aussi de ce que désormais, des notables de Lourdes font preuve d'un intérêt pour Bernadette qui peut aller jusqu'à la ferveur. Dans un rapport du , il note ainsi à propos de M. Dufo, bâtonnier des avocats et conseiller municipal : « Il lui baise la main et l'appelle la sainte. » Le procureur semble surtout avoir été gêné par l'attitude de M. Pougat, le président du tribunal. C'est la personne la plus haut-placée dans la petite administration judiciaire de Lourdes, et il a commencé à donner des conseils à la famille Soubirous pour faire face aux menaces judiciaires que continuait d'agiter le procureur à leur encontre. Le procureur ne s'autorise pas à le dénoncer autrement qu'à mots couverts.
C'est dans ce contexte que, le , Bernadette est convoquée pour un nouvel interrogatoire devant un aréopage qui rassemble le procureur, le commissaire, le maire et le secrétaire de Mairie. Les articles de Romain Capdevielle servent de base à l'interrogatoire et Bernadette en confirme les affirmations : « Cela » lui a demandé de faire bâtir une chapelle et lui a confié des secrets. La rumeur et la curiosité enfle au sujet de ces secrets et Bernadette indique : « Cela m'a défendu de les révéler à qui que ce soit. Cependant je puis dire qu'ils n'ont rien de terrible et qu'ils ne regardent que moi.
» On lui pose des questions sur les guérisons. Elle déclare : « Je ne crois pas avoir guéri qui que ce soit, et je n'ai du reste rien fait pour cela. » Viennent ensuite les habituelles questions concernant le physique de l'apparition : sa taille, son âge, son allure, sa position, avait-elle des souliers, etc.
Concernant les demandes faites aux prêtres pour la procession et la chapelle, Jacomet, qui a remplacé le secrétaire de Mairie à l'écritoire au cours de l'interrogatoire, note une réponse incertaine : « Je ne sais pas si c'est une procession ou une chapelle, je n'en suis pas sûre. Monsieur le curé me dit qu'on ne pourrait rien faire jusqu'à ce qu'il y ait une remarque quelconque, que la Vierge, par exemple, fît fleurir le rosier qui est devant la grotte. »
Les interrogatoires ayant eu lieu durant la quinzaine des apparitions débouchaient sur l'injonction faite à Bernadette de ne plus se rendre à la grotte. La question n'est plus vraiment à l'ordre du jour dans la mesure où Bernadette n'y va plus. Jacomet note cette réponse prudente : « Je ne sais pas si je reviendrai davantage à la grotte. »
Cet interrogatoire s'est déroulé de façon très conciliante. Le procureur Dutour semble être rassuré et se croit autorisé à écrire au procureur général : « Elle a promis de ne plus y reparaître [à la grotte] et de ne plus prêter à l'abus que la crédulité et la mauvaise foi font de ses actions et de sa personne. »
Cette remarque du procureur, même si elle force le trait par rapport aux déclarations de Bernadette, témoigne de ce que sa sincérité n'est plus guère remise en cause. À défaut d'être convaincus de la réalité des apparitions, les interlocuteurs de Bernadette se persuadent qu'elle croit sincèrement avoir vu et entendu quelque chose. Cette enquête établit aussi que les Soubirous ne tirent aucun profit de la ferveur populaire.