2 mars 1858 : 13ème apparition de la Vierge à Bernadette
L’abbé Peyramale est un homme réputé pour ses colères sans lendemain. Il est perplexe concernant les apparitions et n'a jamais rencontré Bernadette avant le 2 mars. Il deviendra ouvertement favorable aux apparitions dans les mois qui suivront, mais il est d'autant plus difficile de savoir ce qu'il en pensait en qu'il a lui-même détruit dans ses notes et ses rapports les critiques qu'il jugera plus tard dépassées. Le fait qui témoigne le plus clairement de ses dispositions est qu'il a fermement interdit aux prêtres, qu'ils soient de Lourdes ou de passage, de se rendre à la grotte pour que ce ne soit pas pris comme un signe d'approbation. Dans le même temps, il constate que, depuis qu'il est question de ces apparitions, les offices connaissent une affluence inhabituelle et beaucoup plus de paroissiens qu'à l'ordinaire viennent se confesser.
Mardi 2 mars 1858, on compte 1 650 personnes lors de l'apparition, la treizième.
Après l'extase, des témoins exaltés par le phénomène demandent à Bernadette : « Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? » Elle répond : « D'aller dire aux prêtres qu'on vienne ici en procession. »
Entendant cela, des dévotes courent au presbytère pour porter en premier le message au curé. Elles pensent que la procession doit avoir lieu jeudi, elles imaginent, puisque ce sera le dernier jour des apparitions, que cette procession sera accompagnée d'évènements fantastiques. Les femmes arrivent ainsi tout essoufflées chez le vieux curé pour lui annoncer que la sainte Vierge veut une procession vers la grotte dans deux jours. Le curé se met immédiatement en colère et les chasse sans ménagement.
Pendant ce temps, Bernadette, qui n'ose pas aller directement chez le curé Peyramale, s'est rendue chez l'abbé Pomian qu'elle avait déjà rencontré. Celui-ci lui dit d'aller voir le curé. Bernadette se fait accompagner de ses tantes. Dominique Peyramale, qui vient de tonner contre ses paroissiennes, joue l'entrevue de façon intimidante :
« C'est toi qui vas à la grotte ?
— Oui, monsieur le curé.
— Et tu dis que tu vois la sainte Vierge ?
— Je n'ai pas dit que c'est la sainte Vierge.
— Alors qu'est-ce que c'est que cette dame ?
— Je ne sais pas !
— Ah, tu ne sais pas, menteuse ! Et pourtant le journal l'écrit, et tous ceux que tu fais courir après toi le disent, que c'est la sainte Vierge. Alors, qu'est-ce que tu vois ?
— Quelque chose qui ressemble à une dame.
— Quelque chose !
— Monsieur le curé Aqueró demande qu'on vienne en procession à la grotte.
— Menteuse ! Comment veux-tu que je commande une procession ? C'est monseigneur [l'évêque] qui décide des processions. Si ta vision était quelque chose de bon, elle ne dirait pas de telles bêtises. Et pour quand la veut-elle cette procession ? C'est jeudi que tu as dit. »
Impressionnée l'adolescente s'embrouille, elle dit qu'elle ne sait plus pour quand, et continue de se faire « gronder » par le curé. Celui-ci interpelle les tantes de Bernadette : « C'est malheureux d'avoir une famille comme ça qui met le désordre dans la ville ». « Retirez-vous, mettez-la à l'école et ne la laissez plus aller à la grotte. Que ce soit fini ».
René Laurentin explique que le curé est « secrètement écartelé » entre son intérêt pour les apparitions dont il voit « les bénéfices s'imposer au confessionnal par un afflux de conversions », et a contrario, la presse et la société bourgeoise ironiser sur « cette tocade populaire autour d'une hallucinée ». Tiraillé, il essaie de ne pas prendre parti pour préserver « l'honneur de l'Église ». D'où son attitude brutale vis-à-vis de la jeune voyante24.
Sur le chemin du retour, Bernadette déclare que le plus important n'est pas pour elle que le curé la croie, mais qu'elle ait fait la commission. Puis elle se rappelle qu'elle a oublié la moitié de la demande d’Aqueró : « Construire une chapelle. »
Effrayées par la colère du curé, les tantes refusent de retourner au presbytère et Bernadette a du mal à trouver quelqu'un qui accepte de l'y accompagner. Dominiquette Cazenave lui arrange alors un rendez-vous pour sept heures. Tout le clergé de Lourdes est là, c'est-à-dire le curé, les deux vicaires et Pomian, l'aumônier de l'hospice. Bernadette leur dit qu’Aqueró veut une chapelle à l'endroit de la grotte. Et elle suggère qu'il pourrait même s'agir d'une chapelle « toute petite ». L'ambiance est plus détendue. Il n'est plus question d'une procession pour jeudi, cette procession semblant dépendre de la construction d'une chapelle qui ne se fera pas dans l'immédiat. L'abbé Peyramale dit à Bernadette que la dame doit donner son nom.