Après le 11 avril 1858 - Épidémie de visionnaires
Bernadette ne donne pas satisfaction à une attente de merveilleux grandissante. Elle répond de façon laconique et continue de décevoir ceux qui, parmi les fervents des apparitions, voudraient des miracles et des signes, comme ceux qui attendaient de Bernadette une attitude qui, selon leurs vues, par sa piété, sa délicatesse ou son élégance, conviendrait à celle à qui la Reine des cieux daignerait se montrer.
Le 11 avril, quatre jours après la précédente apparition, cinq femmes prises dans l’effervescence qui saisissait nombre de personnes à Lourdes, se rendent à la grotte. Cette grotte comporte trois cavités : celle du bas, la plus large, là où coule la source ; celle du haut, visible aussi de l'extérieur, dans laquelle se tient l'apparition et qui communique avec la cavité inférieure, et enfin, une troisième cavité qui s'enfonce dans le rocher depuis un boyau étroit qui s'ouvre à trois mètres du sol, au fond de la cavité principale. Cette cavité possède une stalactite qui a approximativement les proportions d'une personne debout. Étant parvenues à se glisser dans cette cavité, les femmes y voient la lumière de leur cierge vaciller sur la stalactite et reviennent profondément bouleversées à Lourdes raconter leur apparition. Commence alors une « épidémie de visionnaires », durant laquelle des jeunes filles de Lourdes se tenaient en extase un chapelet dans les mains. Jean-Baptiste Estrade déclarait de l'extase de Joséphine Albarino : « Ceux qui n'y croient pas sont de la canaille ».
La multiplication du nombre de visionnaires à Lourdes donne du repos à la famille Soubirous chez laquelle les visiteurs se font plus rares. Pendant ce temps Bernadette est malade et alitée. Profitant de ce calme, quelques religieux dont le frère Léonard, directeur de l'école, viennent recueillir ses propos pour établir des récits suivis et détaillés des faits et de ses déclarations.
Le 4 mai, le préfet se rend à Lourdes. Durant cette visite, le commissaire Jacomet fait retirer de la grotte les objets religieux tandis que le préfet déclare dans son discours que : « Toute personne qui se dit visionnaire sera immédiatement arrêtée et conduite à l'hospice de Lourdes. » Cette menace est la réaction officielle à l'épidémie de visionnaires, mais elle pourrait aussi atteindre Bernadette dans la mesure où il suffirait qu'on lui demande si elle a vu pour obtenir d'elle la déclaration qui permettrait de la faire interner.
C'est probablement sur les conseils du président du tribunal, M. Pouget, que Bernadette est mise à l'abri en étant envoyée se reposer aux bains de Cauterets à partir du 8 mai. Le préfet n'est informé de ce départ que le 15 mai. Il ordonne immédiatement à la police locale de la surveiller et de le tenir informé. Dans son rapport le commissaire de Cauterets écrit : « Plusieurs personnes l'ont questionnée sur ses prétendues visions. Elle persiste dans son premier dire. Plusieurs malades s'y sont adressés ; mais elle s'est bornée à leur répondre que, s'ils croyaient en Dieu, ils obtiendraient leur guérison ; elle a toujours refusé toute rétribution ».
Lorsqu'elle revient à Lourdes, le 22 mai, Bernadette redevient le centre de l'attention et des conversations. Le commissaire Jacomet qui en informe le préfet note cependant aussi dans son rapport : « Pas de trouble. Pas de désordre à constater ». Bernadette poursuit sa préparation à la première communion en essayant de mémoriser le catéchisme questions-réponses tel qu'il s'enseignait à l'époque. L'abbé Peyramale qui avait interdit à Bernadette de retourner à la grotte note avec satisfaction la réponse qu'elle fait devant lui lorsqu'une dame de la paroisse lui demande ce qu'elle ferait si la sainte Vierge lui ordonnait d'aller à la grotte : « Je viendrais demander la permission à Monsieur le curé. »
Lorsque, le 3 juin, Bernadette fait sa première communion dans la chapelle de l'hospice, elle est très observée par les fervents des apparitions. Dans « Le Rosier de Marie » publié la semaine suivante, des admirateurs s'épanchent sur leur adulation : « Il fallait la voir, Monsieur l'abbé ! C'est un ange du ciel. Je la vois tous les jours et je n'en suis pas satisfait, car je voudrais sans cesse l'étreindre dans mes bras, elle aussi est une petite rose mystique qui nous enivre de ses parfums d'innocence et de candeur ».