par le général d’armée GOBILLARD
Gouverneur des Invalides, En l’église Saint-Louis des Invalides, le vendredi 19 septembre 2008 à 10h00
Mon capitaine, cher Philippe,
Voici venu le moment solennel et émouvant des adieux que vous adresse la grande famille militaire, en particulier la famille de l’Institution Nationale des Invalides, cette belle famille où vous avez vécu les trois dernières années d’une vie exemplaire tout entière consacrée au service de la France, de Dieu et des jeunes.
C’est une très forte émotion qui nous anime ce matin, alors que, dans quelques instants vous allez franchir le seuil de cette belle église des soldats, dans laquelle vous avez si intensément prié, pour être emmené dans votre dernière demeure, au cimetière du Père Lachaise.
Auparavant, il me revient le grand honneur, et la grande joie, d’être l’interprète de ceux que vous laissez ici, pour vous exprimer une dernière fois, notre profonde considération, notre chaleureuse amitié et notre sincère affection. Pour vous dire aussi, combien nous avons apprécié le privilège de vous avoir compté parmi ces prestigieux Pensionnaires qui, depuis plus de trois siècles, forment une chaîne ininterrompue d’acteurs héroïques, meurtris au service des armes de la France.
Vous êtes né le 20 février 1924 au sein d’une famille tourangelle de forte tradition, toute empreinte de piété, de ferveur familiale et d’amour du prochain. Vos parents vous inculqueront le désintéressement, le respect du travail bien fait et surtout l’attachement à la France éternelle. Votre frère aîné « Paddy » qui a été pour vous un modèle, s’engagera à 18 ans et demi dans les Forces Françaises Libres. Il sera tué en héros en juin 1944 comme sous-lieutenant en Italie et sera fait Compagnon de la Libération.
Après des études à Compiègne puis en Uruguay, vous vous inscrivez à la corniche de Toulouse puis à celle de « Ginette » à Versailles. Vous intégrez Saint Cyr en 1944 avec la promotion Rome et Strasbourg qui sera instruite à Cherchell en Algérie et à laquelle vous resterez très attaché.
A votre sortie de Saint Cyr, vous choisissez les troupes coloniales et ce sera l’exaltante aventure de la découverte du Sénégal, de la Mauritanie et surtout de la vie de nomade dans le désert saharien qui vous marquera très profondément.
En 1949, vous rejoignez la magnifique demi brigade coloniale de commandos parachutistes et vous embarquez pour l’Indochine en août 1950. Vous serez très grièvement blessé par balle, en vous élançant avec un courage et une détermination exemplaires à la tête de votre section de parachutistes, le 30 mars 1951. Terrible épreuve pour un jeune officier qui avait décidé de donner et sa vie, et son cœur à ses hommes et à son pays.
De retour en métropole, faisant preuve d’un courage hors du commun, vous réussissez à marcher avec deux cannes et, malgré votre paraplégie, vous décidez de continuer à servir.
Ce sera à l’état-major général de la Défense Nationale comme spécialiste de l’Afrique du Nord. Là, votre réflexion fine, votre connaissance approfondie des populations sahariennes, de la civilisation arabo-berbère et de l’Islam, vous écrivez un livre qui aura un fort retentissement. « Autopsie de la Guerre d’Algérie ».
En 1960, votre tante Yvonne vous donne la propriété de son domaine des « Roches ». Ce sera en Touraine dans « ce lieu de rêve », comme vous l’appeliez, que vous allez vous épanouir et devenir un guide, un père, un frère, un conseiller pour des centaines de jeunes : scouts d’Europe ou scouts unitaires de France, jeunes Tourangeaux ou Hospitaliers de Lourdes.
Tout en enseignant l’Anglais et le Français, pendant 10 ans, ces nombreux jeunes viendront ainsi aux « Roches » se ressourcer, chercher leur vérité. Ces jeunes sont là, ce matin autour de vous, ces jeunes qui, il y a encore quelques jours venaient vous demander appui et amitié. Vous avez su avec tant d’amour et de tact mais aussi de vigueur, les conseiller, les orienter. Grâce à vous, ils ont compris que la vie était service.
Vous les aimiez tant vos jeunes. Vous vouliez qu’ils soient parfaits et qu’ils soient exigeants avec eux-mêmes. Vous vouliez qu’ils puissent crier haut et fort ce à quoi ils croyaient.
Ils vous ont écouté, ils vous ont entendu, ils vous ont imité. Ils sont là ce matin pour vous dire, Merci Philippe, pour votre vie droite, votre vie sans concession, Merci Philippe, pour votre exemple de rectitude et d’attention aux autres. Merci Philippe de nous avoir dit que la vie était un idéal à chercher, un idéal à vivre, un idéal à transmettre, un idéal à donner.
En 1974, vous découvrez les foyers de charité et à l’écoute de Marthe Robin et du Père Marie Dominique Philippe ce sera la foudroyante rencontre avec le Christ dont vous nous parliez avec tant d’humilité, de passion et d’amour. Vous commencez alors votre belle ascension d’amour vers lui, ascension soutenue par la prière des frères de Saint Jean auxquels dans un dernier élan de charité vous transmettez le domaine des Roches.
En décembre 2005, vous décidez, contre leur avis, de quitter à jamais les Roches et rejoindre pour toujours l’Institution Nationale des Invalides.
Dès votre arrivée, vous marquez de votre forte personnalité tous les pensionnaires, les personnels et les bénévoles. Vous allez vers eux, vous les écoutez et vous essayez de comprendre leurs douleurs intérieures. Vous continuez ainsi par votre attitude à proclamer à temps et à contre temps qu’un homme est fait pour servir, un homme est fait pour aimer.
Combien de jeunes et moins jeunes, dans le silence apaisant de votre chambre avez-vous redynamisés, avez-vous consolés, avez-vous fraternellement et aimablement secoués !
Mais malheureusement, il y a quelques mois, votre état de santé s’est très rapidement altéré. Vous sentiez que le chemin de service allait se terminer. Vous n’aviez pas peur de la mort mais un peu de mourir et mardi dernier, à 14 heures, discrètement et calmement, celui qui vous attendait est venu doucement vous chercher.
Mon capitaine, cher Philippe, vous êtes officier de la Légion d’honneur, titulaire de la croix de Guerre des Théâtres d’opérations extérieures avec palme, de la médaille commémorative de la guerre 1939/1945 avec barrette « libération ».
Mais pour vous, ces décorations avaient peu d’importance car le plus beau jour de votre vie, ce n’est pas lorsque vous les avez reçues, vous le saharien, le parachutiste colonial, c’est aujourd’hui car c’est le jour que vous avez tant attendu, le jour où enfin vous voyez celui que vous avez tant prié et tant aimé, ce Dieu d’Amour pour lequel vous avez vécu.
A votre frère, à vos proches, à vos amis, à vos jeunes que vous avez aimés, à vos camarades de promotion et à vos camarades parachutistes, au nom du Directeur de l’Institution Nationale des Invalides, au nom de tous les médecins et personnels, au nom de tous les bénévoles qui oeuvrent dans le cadre de l’Institution et en mon nom personnel, j’adresse mes plus vives, mes plus sincères et mes plus affectueuses condoléances.
Nous associant par la pensée et le recueillement à la peine de votre famille et des vos fidèles amis, nous allons vous rendre, cher Philippe, mon capitaine, vous, dont le rayonnement illuminera toujours l’Institution, un dernier et vibrant hommage, en écoutant debout en présence de l’Etendard des Invalides, votre dernier Etendard, la sonnerie « Aux Morts ».